Tout d’abord je m’excuse de ne pas avoir écrit régulièrement mais dans l’état où j’étais, je n’avais ni le goût ni le courage d’écrire.
Dans le secteur que nous tenions, nous étions à une quarantaine de mètres des Allemands. Il faisait des nuits noires accompagnées de pluies les trois derniers jours, tu nous vois d’ici les pieds et les jambes dans la boue. Heureusement, j’étais assez couvert et je n’ai pas eu froid.
Les nuits sont longues maintenant, de 17h à 7h ½, il nous faut être aux créneaux, et le reste du temps pendant qu’il fait jour 10 heures, il nous faut veiller, il nous faut manger, il nous faut remonter la tranchée qui s’effondrait continuellement à cause de l’humidité, enfin on n’avait pas un moment pour se reposer.
Louis avec Marie-Louise et Marguerite, deux de ses sœurs
Le deuxième jour, mon sac et toutes mes affaires ont été enterrés dans le trou où je les avais mis à l’abri, et il m’a fallu longtemps pour dégager le tout, j’ai retrouvé mon passe-montagne dans un état de saleté repoussante, vous pourrez donc m’en envoyer un autre quand vous voudrez.
Mais il y a une corvée que j’ai gardé pour la bonne bouche, c’est la corvée de soupe à laquelle il nous faut aller deux fois par relève. Il nous faut patauger dans la boue, et tu peux croire qu’il y en a quelques centimètres, et notre charge est assez grande : 5 ou 6 bidons de vin, 4 pains, 2 marmites. Ah quel supplice, on arrive à la tranchée vannés, esquintés.
Ceux qui n’ont pas goûté à tout cela ne peuvent s’imaginer ce que l’on souffre dans ces tranchées. Si un général y passait une fois, il signerait la paix immédiatement, car il est inadmissible de souffrir tant pour arriver à quoi – on n’en sait rien.
Louis G. avec deux de ses sœurs : Alice (debout) et Lucie (assise)
J’en arrive à la relève d’hier soir. Il avait plu toute la journée comme d’habitude, les boyaux étaient remplis de boue, il faisait noir à tel point que l’on ne voyait pas à 2 mètres devant soi. On était chargé comme des mulets : équipement avec 120 cartouches, 1 bidon, 2 musettes, le sac sur lequel était la toile de tente et la couverture toutes mouillées, et le fusil.
Nous avons quitté la tranchée à 8 h et pour faire les 4 km de boyaux il nous a fallu deux bonnes heures !
Ce petit voyage est inoubliable pour ceux qui l’ont fait, on entrait dans la boue jusqu’aux genoux, et à chaque pas on se demandait si l’on n’allait pas y rester, et c’est à juste titre puisque l’on nous a dit que deux soldats d’une autre compagnie avaient été enterrés dans cette boue, leurs camarades ne voyant pas clair leur ayant marché dessus, et quand on les a relevés, il était trop tard, tu vois si c’est abominable la guerre sans parler des obus et des balles, et des bombes qui ne s’arrêtent pas pour cela.
Enfin une fois sortis des boyaux, il nous a encore fallu faire 11 km pour venir ici.
Louis avec sa mère Cécile D. (assise) et Marie Louise, Marguerite et Alice (3 de ses sœurs)
Oh quelle vie nous menons ma pauvre maman. Si nos chefs suprêmes en avaient une idée exacte, nous ne serions plus en guerre. Une fois arrivés à notre cantonnement, notre premier travail a été de nous coucher, nous étions tous exténués, et impossible d’en faire plus. Vers 9h1/2, je me suis réveillé, et j’ai été chercher du lait. Je me suis fait du chocolat, ce qui m’a remis un peu d’aplomb.
Je n’ai pas encore touché à mes affaires qui sont couvertes de boue, surtout la capote qui faisait près du triple de son poids à cause de l’humidité et de la boue. Elle sèche, et j’attends.
J’ai bien reçu les deux paquets. Je te remercie en bloc de toutes tes bontés dont j’ai profité à la chambrée de mon mieux. Seules les chaussettes sont trop petites, et je ne les crois pas commodes. Je te les renverrai prochainement.
J’ai bien reçu les lettres d’Alice 26, Maman 27, Lucie 28. Merci des articles de la Sarthe où j’ai vu les progrès de mes élèves sportifs du lycée. Rien du cousin L. Mais j’ai reçu des nouvelles de Céline. Et une longue lettre de Mme G. que je compte remercier prochainement tant sa lettre était bonne et m’a fait du bien en de si durs moments.
Je vais passer ici une semaine chrétienne et je puiserai là du courage, car il en faut pour supporter toutes nos souffrances.
Bons baisers de votre cher Louis qui passe des moments bien durs.
Louis G."
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Note de Chatdesîles : Louis G. est notre grand-oncle du côté maternel.
"Aristide Louis G : ... gradé d'un courage et d'un sang froid au dessus de tout éloge. S'est élancé un des premiers à l'assaut du Mont Blond, le 17 avril 1917, et a été grièvement blessé ... Mort pour la France le 23 avril 1917 des suites de ses glorieuses blessures à l'âge de 22 ans"